Généreuse, abondante et pleine de surprises, telles sont les caractéristiques que l’on peut attribuer à l’oeuvre de Viorel Enache. « La main fait naître une forme à partir d’une idée. C’est par la main que s’extrait l’âme, c’est elle qui donne corps à une substance.» (Marcel Sendrail) Les ateliers de Viorel Enache sont remplis d’idées, de formes et d’éclats. La poussière y règne et donne vie aux lieux. Posées sur des socles improvisés, les idées s’ébauchent et attendent leur achèvement. Elles foisonnent. La matière se laisse apprivoiser et semble heureuse d’exister sous ses nouvelles formes. Le regard s’arrête, on s’interroge sur la force que le sculpteur développera pour réaliser cette importante masse de travail. L’explication est le geste, sûr et précis, rapide et sans relâche. Les années de travail lui ont donné la maturité du regard, la connaissance de la matière. Accumulées dans le temps, les expériences diversifiées lui ont permis d’acquérir un mode de pensée riche et un imaginaire nourri par la connaissance. Les formes défilent sous nos yeux fermés, sensibles au regard, douces au toucher, enveloppantes dans l’espace.
La matière foisonne et elle est source d’inspiration. Les formes naissent et se développent, en suivant les caractéristiques de la matière. Marbre blanc, rythmé par les ombres des creux, par les lignes des formes. Elles sont souvent serpentines, amples ou parfois étroitement serrées, comme dans ses travaux sur les circonvolutions du cerveau. Marbre noir, avec des formes estompées et lisses, sublimées par la lumière. Une fois sculpté, le marbre devient noble, il s’inscrit dans la profondeur du temps. La forme se dégage des ciseaux au travail, dans un cliquetis aigu, au milieu d’un tapis neigeux constitué d’éclats scintillants. Les idées surgissent. La pierre calcaire, tendre et poreuse, travaillée au méplat pour accrocher la lumière, facile à façonner, permet de matérialiser la fulgurance de l’idée et fait apparaître un univers étroitement lié aux sculptures des cathédrales. Les personnages et les formes décoratives de l’art roman apparaissent comme des ébauches d’un temps perdu, où la création artistique transgressait les canons et laissait place à l’imaginaire et à la beauté de la spontanéité.
Bois, couleur vibrée par les nuances de ses lignes nervurées. Il est employé conjointement à la pierre afin de lier le végétal au minéral comme une symbiose parfaite (greffes) ou pour transposer la thématique mythique de l’Ancien Testament. Bitume, luisant et profond, dont les surfaces vibrées accrochent la lumière et lui confèrent une certaine préciosité.
Spectaculaire et abstraite, l’œuvre combine les matières et joue sur des couleurs allégoriques. Par la tension et l’écartement puis le resserrement, la composition devient exégèse, jeu de symboles. Sous le ciseau du sculpteur l’univers s’enrichit de formes et d’histoires variées, qui nous transportent ailleurs. On lit, on rêve, on regarde, on touche, on communique. Emblématiques et novatrices, les œuvres parlent, s’inscrivent dans l’univers et transgressent, notre monde étroit pour aller vers l’infini. La main sculpte, la matière se transforme, prend la forme voulue par l’artiste, qui fait surgir l’idée, pétrie dans son esprit. Enchaînement d’idées dont les formes rappellent l’arbre, le fruit, le serpent, la femme, le cerveau, les ailes, les épines, les feuilles. Minéral, végétal, organique s’accordent pour former un tout.
Depuis trente ans, Viorel Enache alterne travaux de sculpture pour le compte des Monuments historiques et créations personnelles. Les premiers ont souvent nourri les secondes. Les formes se développent d’un autre point de vue et les repères résonnent sous de nouvelles apparences. Sujets de réflexion et formes plastiques, les travaux de sculpture réalisés sur les hauteurs du Louvre, de la Sainte-Chapelle ou de l’hôtel de ville de Douai ont inspiré l’artiste. Le langage est le même, mais la forme s’exprime différemment, et pénètre plus en profondeur dans l’univers ésotérique des archétypes. Les œuvres sont là, les formes parlent, leur langage nous enchante ; il ne nous reste qu’à contempler.